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mercredi 28 décembre 2011

A MON FILS

Que tu sois avec moi ou sans moi, mon très cher fils, tu vas encore grandir,
Avec mon aide ou sans mon aide, tu vas encore comprendre,
La façon dont on doit vivre dans ce monde, la façon dont on doit regarder ce monde,
Ce qui n’a pas de valeur dans ce monde, et ce qui n’a pas de prix dans ce monde.
Je ne tolère ni ne respecte ceux qui me font la morale,
J’ai toujours détesté, mon fils les discours fades, et les piquants,
Mais si je te lis, mon chéri, un sermon maintenant,
C’est seulement parce que souvent, très souvent dans la vie d’un homme,
Si le temps a une large part, le siècle à une large part,
Le chemin qu’il a choisi lui-même n’est pas non plus de peu d’effet.

Peut-être que, comme moi, tu seras aussi entouré de ceci :
J’ai regardé souvent autour de moi, j’ai éprouvé de l’envie pour ces gens,
Dont la vie passe si aisément – comme si c’était un chemin de gravier,
Sans nulle barrière ni mur, comme un règle plate et droite,
L’école et ensuite, comme un insouciant, un sonneur de grosse cloche influent,
Et sa place au chaud est assurée… Tu ne peux pas vivre de cette façon-là !
Je ne voudrais pas que ta vie soit comme un chemin de gravier plat.
Ne passe pas sur une route asphaltée, il faut que tu préfères construire une route !
Vis toujours paisiblement avec amour, mais ne te détourne pas de la souffrance ;
Elle nettoie l’œil de la poussière de l’œil, elle nettoie l’âme de la rouille de l’âme.
On ne meurt pas de souffrance, mais on devient encore plus fort,
Plus tard le cœur qui s’est rétabli, supportera sa peine plus facilement.
Ah, ne miaule pas, ton père n’a jamais supporté ceux qui miaulent…

Il vaut mieux, mon fils, que tu arroses tes yeux avec des larmes amères,
Et que tu continues sur ton propre chemin. Laisse-le plein de pierres,
Mais si dans ton âme repose un besoin de bonté, de gentillesse et d’amour,
Tu ne seras pas fatigué, mais tu marcheras et escaladeras la montagne.
Car si quelqu’un a besoin d’un esprit, pour cela il n’a pas besoin d’ailes.
Tu dois être bon en toute chose, quel genre de personnes sont mortes de faim ?
Il n’y a pas d’exil pour ce qui est vrai – pourquoi se taire face aux mensonges ?
Certes autour de nous il y a des gens qui courbent la tête quand il le faut,
Qui vitupèrent quand il le faut, qui se taisent ou sourient quand il le faut,
Ils montrent du doigt s’il le faut… Ne sois pas si immature dans la vie,
Toi, comprends maintenant mes paroles, n’oublie pas, n’oublie jamais, mon fils :
Que la bonté est la seule chose immuable quoi qu’il arrive,
Elle a une face blanche, mais jamais sept ou huit garnitures colorées…
Ne te plains pas ; tu te souviens ? 
   "  Les jours de malchance… viennent et s’en vont. "
Ne te plains pas. Si tu as recherché la bonté, atteints-là toi-même…
Ne te plains pas, mais ne lis pas la vie comme si ce n’était qu’un livre,
Juste un livre, loin de toi, comme s’il était question d’hommes étranges…

Sois toujours fier, mais pas arrogant (seuls les vaniteux sont arrogants,
Ton père agissait ainsi pour distinguer les sages des fous).
Sois toujours fier comme ton père, de n’avoir jamais ruiné la maison de quiconque,
De n’avoir jamais coupé un mot aimable, de n’avoir jamais enfermé un esprit aimable,
Puisque tu as marché droit dans ta vie, et si tu as entendu souvent cela,
C’est pour l’unique raison que des affaires mesquines n’ont jeté souvent
sur le marché que toutes sortes de foules bruyantes superficielles,
mais tu n’as pas de futilités, tu n’as même pas de fausse monnaie…

Tu es encore jeune, tu ne sais pas encore comment on doit regarder la vie elle-même.
Tu es encore jeune. Quand tu grandiras et deviendras un adulte mature,
Mes conseils te sembleront peut-être si vieux et inutiles,
Peut-être que dans la vie il n’y aura pas autant de blessures et de défauts.
Ah ! que Dieu veuille ! Je ne rêve jamais de rien d’autre dans cette vie,
(l’aveugle, mon fils, comme tu le sais bien, ne désire qu’une paire d’yeux).

Mes conseils, laisse-les vieillir… C’est seulement ainsi que la fleur meurt,
Quand sur l’arbre en été elle devient un fruit mûr.
Pour la cause du prochain feu, je suis prêt à brûler aujourd’hui,
Pour la cause de la vérité de demain, laisse-moi aujourd’hui être dans l’erreur…

                                                                         Barouyr SEVAG

                                     Poème arménien traduit en français par Louise Kiffer,
                                      d’après la version anglaise de Shant norashkharian.
 
 

vendredi 23 décembre 2011

A M I S

AMISSur le trottoir,
La vieille femme est assise
Devant une petite table.
Elle parle à son chien ;
Elle boit un café,
Elle lui donne des miettes
De son assiette en carton
" Croissant " dit-elle
Et le chien répond
Par un petit aboiement
Un éternuement
Qui ressemble exactement
Au mot " flocon ".
Ils se sourient,
Puis s’arrêtent un instant
Pour gratter leurs puces.
Le soleil se lève
Au-dessus du bâtiment de brique
En face dans la rue.
C’est un bon soleil
Plein de compréhension
et d’ancienne sagesse.



                                    William MICHAELIAN

                                    Traduit de l'anglais par  Louise Kiffer

lundi 19 décembre 2011

LA LEGENDE ARMENIENNE

LA LEGENDE ARMENIENNE
 La légende arménienne au coin de la misère,
Sur le disque cassé des nuits occidentales,
Dans les chambres d’hôtel aux murs des cathédrales,
La légende arménienne a bercé la lumière.

La légende arménienne aux lèvres de la mère,
Aux rêves de l’enfant dans les villes sans rues,
Dans les mains sans travail, dans les bouches vaincues,
La légende arménienne enterre sa misère.

C’est la légende aux trois mille ans des émigrés,
Chambres d’hôtel pavés de bois et de vieux ports,
Et les carreaux du ciel sur les fronts séparés,
Chambres d’hôtel des Arméniens et passeports.

La légende arménienne aux pas des capitales,
Aux doigts de la danseuse, au village oublié,
Sur les cordes du thâr, au village oublié,
La légende arménienne aux pas des capitales.

Plaines de l’Orient et les noms familiers
Dans les miroirs du temps sur les portes en croix
Dans les rires les pleurs les livres les cahiers
C’est la légende à la page une ou trente-trois.

C’est la même légende au fond des ressemblances
Dans les trois mille ans des trois millions de l’une ou l’autre
Dans l’une ou l’autre nuit au fond des espérances,
La légende arménienne est la nôtre et la vôtre.

La légende arménienne aux murs des cathédrales
Dans la seule montagne enterre sa misère.
La légende arménienne a le point de lumière
Et donne le soleil aux plans d’hydrocentrales.

                                               Rouben MELIK (1921-2007)
                                               Poète arménien francophone

dimanche 18 décembre 2011

LE CLOCHER QUI NE SE TAIT PAS

Le printemps est arrivé mais la neige est tombée 

Ils ont poignardé, ils ont exterminé,
Ils ont coupé les têtes des grands et des petits,
Ils ont égorgé et martyrisé...
Ils ont détruit et brûlé...

Le sang et les larmes ont coulé

De la rougeur du sang, ils ont coloré les vallées et les montagnes

Ils ont détruit le ciel bleu

Ils ont tué notre peuple

Ils ont changé le pays plein de biens

En un pays des miettes ;

L'offrande sacrée, ils l'ont mise dans la bouche du chien ...

Ils ont voulu laisser un seul arménien

Ils l'ont voulu... Pour le musée.

Le printemps est arrivé mais la neige est tombée.


                                       Barouyr SEVAGExtrait du poème de Barouyr Sevag : " Anleréli Zankagadoun "

                                              Traduction Louise Kiffer
 
 

 

jeudi 15 décembre 2011

BERCEUSE

 
Viens mon rossignol,
laisse notre jardin,
Apporte par tes chants
le sommeil à mon fils.
Mais il pleure…toi, rossignol,
ne viens pas !
Mon enfant ne veut pas
devenir prêtre.

Viens, petit moineau,
laisse les champs les prés,
Berce mon fils, il a sommeil
Mais il pleure…Toi moineau,
ne viens pas
Mon enfant ne veut pas
devenir moine

Laisse, petit pigeon,
tes petits et ton nid,
Par tes roucoulements,
donne à mon fils
Un doux sommeil.
Mais il pleure…petit pigeon,
ne viens pas !
Mon enfant ne veut pas
porter le deuil.

Habile pie, aimant l’argent
Par tes propos de gains
Apporte le sommeil à mon enfant
Mais il pleure… pie, ne viens pas !
Mon enfant ne veut pas devenir
Un crève-la-faim.

Laisse ton gibier, viens,
vaillant faucon ;
C’est ton chant peut-être
Que veut mon enfant.
Dès l’arrivée du faucon,
Mon enfant s’est assoupi.
Au son des chants guerriers,
Il s’est endormi.

                                         Kamar KATIBA (1830-1892)
                                (Raphael BAGDANIAN)

                               Traduction Louise Kiffer

mercredi 14 décembre 2011

AU VIEUX DOME DE L' ARARAT

 
Au vieux dôme de l’Ararat,
Un siècle est venu, comme une minute,
Puis est passé.

L’épée d’innombrables éclairs,
S’est brisée contre le diamant,
Puis est passée.

Le regard des générations paniquées devant la mort
S’est posé sur le sommet lumineux
Puis est passé.

C’est maintenant ton tour, un moment ;
Toi aussi regarde le front altier
Et passe…
 
                                               Avedik ISSAHAKIAN (1875-1957)

                                                          Traduction Louise Kiffer

mardi 13 décembre 2011

SEMAILLES


Sème, sème, même de l'autre côté de la frontière,
Sème comme des étoiles, comme des vagues !
Q'importe si les bouvreuils pillent tes grains,
Le Seigneur Dieu à la place sèmera des perles fines.
 
                                 Daniel VAROUJAN (1884-1915)

                                 Traduction Louise Kiffer

(extrait du ‘Chant du pain’)

lundi 12 décembre 2011

BONHEUR

 
Voilà que passe devant toi
une jolie jeune fille,
les cheveux au vent, les yeux brillants.
Un frisson agréable parcourt ton corps

Elle passe très vite à côté de toi;
un clin d'oeil magique
et sa trace est déjà perdue
dans l'épais brouillard.

Elle passe à côté de toi.
Unique souvenir, nostalgie ou douleur,
elle te laisse un fol espoir,
de la rencontrer encore un jour !

 
                                                                   Hourig MAYSSIAN (1983…)

                                                                  Traduction Louise Kiffer

 
 

dimanche 11 décembre 2011

JE VOUS PRIE

Je vous prie de ne pas craindre
Si les gens appellent ces ambitieux, simplement des ambitieux et pas des humbles,
Ceux qui sont des vauriens, simplement des vauriens et non pas des nobles;
Ceux qui sont distants, simplement distants et pas présents.

Je vous prie de ne jamais craindre
une parole franche prononcée
Une parole franche ne tue jamais personne
Elle ne fait qu'ouvrir une plaie cicatrisée.

Si tu es un enfant et si tu as faim,
Ne crains jamais de pleurer tout fort
Puisqu'un enfant qui ne crie pas tout fort
Personne ne lui donnera un sein à téter.

Ne craignez jamais de frotter une tasse rouillée,
Ne craignez rien, elle ne pourrira pas.
Ne craignez jamais d'écrire la vérité au sujet de ce qui est faux
Car faire cela ne va pas démentir ce qui est faux

Je vous prie de faire des maths juste pendant quelque temps
Mais à condition de ne pas additionner le juste à l'injuste
Mais de diviser l'injuste par le juste
De ne pas ajouter la sympathie au chagrin
Mais diviser la sympathie par le chagrin.

Ne vous vantez jamais de la question
Mais soyez fier de la solution
Avec entre parenthèses
Le reste et aussi le quotient.

Je vous prie de veiller aussi un peu au psychisme
Si un enfant avec sa triste chanson pleure la mort de ses parents
Je vous prie de ne jamais l'arrêter parce que sa chanson n'est pas assez bonne
Je vous prie de ne jamais m'embêter ni de m'impliquer
Avec de telles questions et d'autres semblables.

                                                      Barouïr SEVAG (1924-1972)

                                                     Traduction Louise Kiffer

samedi 10 décembre 2011

SI L’ ON ME DONNAIT UN DIADEME…

Si l’on me donnait un diadème et un sceptre de diamants
Je te les offrirais Arménie, reine des reines !

Si l’on me donnait un manteau de pourpre éclatant,
Je le jetterais sur ton épaule, ô ma mère, pauvre Arménie !

Si l’on me donnait le feu et la flamme des jours de ma jeunesse,
C’est à toi Arménie, que j’offrirais mon enthousiasme et mon extase !

Si l’on me donnait le cours infini des siècles, je te donnerais
Avec amour, Arménie, ma vie et mon âme !

Si l’on me donnait le cœur et l’amour d’une vierge
Au teint de lis, c’est toi que je choisirais, Arménie,
Unique amour de mon cœur !

Si l’on me donnait une couronne de perles pour mon front,
Je préférerais, Arménie, une larme de tes yeux !

Si l’on me donnait une fière liberté absolue, je préférerais encore,
Arménie, ton sublime esclavage !

Si l’on me donnait pour patrie la superbe Europe, c’est toi
Arménie que je demanderais avec toutes tes douleurs !

S’il m’était donné de choisir le séjour de mon cœur, je dirais
Que tes ruines, Arménie, sont le paradis pour moi !

Si l’on me donnait la lyre aux cordes de flamme de l’ange,
C’est toi, Arménie, que je chanterais de tout mon souffle !
 
                                           Korène de LUSIGNAN (1831-1893)


           (traduit en français par le poète Minas Tchéraz, en 1890)
 

jeudi 8 décembre 2011

MOI J'AI AIME

MOI J’ AI AIME  
Moi j'ai aimé, mais aucun
de ceux que j'ai aimés n'a su
combien je l'ai aimé…
Qui sait lire dans le cœur ?

Mes plus grandes joies,
Mes plus vifs chagrins,
ceux qui les ont inspirés, hélas,
ne me connaissent plus maintenant !

Mon amour, semble-t-il, était ce fleuve,
Dont le flot continu,
Venait des neiges de la montagne,
Et que la montagne n'a pas vu.

Mon amour était, semble-t-il, cette porte
Par où personne n'est entré.
Couvert de fleurs,
Mon amour était un jardin secret.

Et si certains ont vu mon amour
Dans le ciel infini,
Ils l'ont vu comme une fumée,
mais n'en ont pas vu le feu…
……………………………….

Moi j'ai aimé, mais aucun
de ceux que j'ai aimés n'a su
combien je l'ai aimé…
Qui sait lire dans le cœur ?

 
                                Vahan TEKEYAN (1878-1945)


                                       Traduction Louise Kiffer   
 

mercredi 7 décembre 2011

DES YEUX COULEUR CENDRE

La terre d'Arménie ne m'a pas donné la beauté d'Arménienne des anciens
Ni taille haute, ni regard de feu,
ni les flammes dociles des tresses
Elle ne m'a gratifiée que d'une paire d'yeux profonds couleur cendre
Emplis de la cendre de ses siècles,
 avec au fond les braises de l'inspiration.

                  Sylva KAPOUTIKIAN (1919-2006)
 
                        Traduction Louise Kiffer

lundi 5 décembre 2011

METAMORPHOSE

Que ne suis-je la rose sur ton sein !

Que m’importe d’y vivre un seul matin !

Du moins je me flétrirais
Sous tes doux regard,
Je pâlirais sous la chaude haleine
De tes baisers
Et me dessécherais
Tout près des battements
De ton cœur.

Que m’importe d’y vivre
Un seul matin !



                           Artachés OHANESSIAN (1895-1939)
                      
                      
traduction Louise Kiffer

                      

dimanche 4 décembre 2011

ATTENTE

 
Le crépuscule descend avec sérénité
Et moi je savoure
Le désir de te rencontrer…
Le désir…

Elle a tardé si longtemps !
La douceur s’est effondrée,
Et ma gorge brûle d’amertume…
Elle brûle…

O apparais dans le bois !
Méfie-toi du sommeil des ombres,
Et approche-toi avec hâte de ma solitude.
Mets fin à ma solitude…

A ma solitude…à mon attente…
Voilà, les lampadaires des trottoirs se sont allumés,
Avec la maturité automnale des branches,
Avec la douceur mûrie…

N’aies pas peur
Des rameaux mûrissants qui suintent…
Sois certaine qu’en tombant dans mes bras,
Et avec délicatesse,
Tu ne sentiras aucune chute…
 
 
                                                               Grish DAVTIAN (1935…)
 
                                                               Traduction Louise Kiffer
 
 
 

samedi 3 décembre 2011

S O I F

Mon âme écoute la mort du crépuscule,
Prosternée sur la terre lointaine de la souffrance,
Mon âme boit les plaies du crépucule et de la terre.
Et sent en elle la pluie de ses larmes . . .

Et tous les astres des vies massacrées
Si semblables à des regards éteints,
Ce soir, dans les baptistères de mon cœur,
Attendent, dans leur désespoir, leur réanimation.

Et tous les fantômes des morts, cette nuit,
Vont attendre l’aurore, avec mes yeux et mon âme,
Afin que pour assouvir la soif de leur vie,
Tombe peut-être sur eux, d’en haut, une goutte de lumière.

                                                      SIAMANTO (1878-1915)
                                                     (Adom Yardjanian)

                                                    Traduction Louise Kiffer
Source : " Araxe "
Du 25 avril 1954

jeudi 1 décembre 2011

MA DOUCE MAMAN

Moi j'aime ton visage, ton visage, ma douce maman, le calme de tes yeux,
si bons et si doux, moi j'aime ton front, ton front ridé depuis longtemps,
et tes cheveux argentés, tes cheveux, ma douce maman.

Moi j'aime tes mains rayées du bleu de tes veines, les rides de ton visage,
de ton visage, ma douce maman, bien que déjà vieillie, tellement usée, pourtant encore dans la tête les mille soucis du lendemain.

Comment peux-tu dans ton cœur faire tenir tout un ciel ? comment peux-tu dans ton sourire faire tenir tout le soleil ? Comment ? Comment peux-tu ? Comment, ma douce maman ? dans une goutte de tes larmes, faire tenir tout ton cœur .

Tes enfants, hier encore, accouraient sur tes genoux, et puis encore bruyamment s'échappaient de tes bras. Aujourd'hui ce sont tes petits-enfants qui viennent, comme le jeu des jours anciens, comme le jeu des vagues bleuâtres accourant vers la rive.

Quand tu es silencieuse et assise, un châle jeté sur tes épaules, c'est le fil de tes souvenirs que tu enroules autour du fuseau des jours anciens, tu évoques la maison paternelle, les chemins ensoleillés où tu passais en dansant avec les vents légers.

Et tu revois les blés dorés dans les champs, le clocher du monastère, comme s'il était toujours au loin. Et tu te rappelles comment mon père, amoureux de toi, par le chemin des vignes, venait toujours derrière toi.

Et tu racontes comment le soleil là-bas, était tout autre. Le parfum des fleurs,
le goût des herbes, étaient tout autres. Et le son de la cloche du monastère, sous la montagne, était tout autre. Hélas, c'était tout autre, tout autre, même le goût du pain était tout autre.

Et tu racontes qu'il n'y avait pas, dans le monde entier, il n'y en avait pas deux
Qui récitaient des poèmes d'une voix retentissante comme Alexanents, pas
deux comme le pharmacien Lokman avec ses remèdes, comme l'instituteur Avakents, comme David habile et vigoureux qui arrachait les arbres
par leurs racines, il n'y avait pas, il n'y avait pas un vieux sage savant comme Maroukents.

Maintenant, vieillie depuis longtemps, un châle jeté sur tes épaules,
Tu racontes à tes petits-enfants, les contes de tes souvenirs. Et tu te rappelles, tu te rappelles, combien c'était réel.
Ton conte ensoleillé, aux mille couleurs.

J'ai erré de pays en pays, je suis passé par beaucoup de chemins, j'ai vu les privations, j'ai vu la souffrance, j'ai vu aussi l'amour et la gaîté,
mais je n'ai pas vu, je n'ai pas trouvé un seul cœur aussi vaillant,
une âme aussi vaillante que la tienne, ma douce et bonne maman.

                                                                    HAMASDEGH (1895-1966)
                                                                   Traduction Louise Kiffer 

mercredi 30 novembre 2011

QUE TON REVE SOIT NET

QUE TON REVE SOIT NET !
 
Que ton rêve soit net et que la perplexité soit bleue,
Qu’il n’agite pas ton esprit, comme les feuilles d’automne voltigent à terre.
Vis libre et fort, selon ton âme
Sois dans la forêt de la vie, un arbre vert aux fortes racines.

Ne laisse pas ton cœur aller à l’eau pour des faits accidentels,
Va vers ton but, comme le fleuve vers la mer !


                                                            Archag TCHOBANIAN (1872-1954)
                                                            Traduction Louise Kiffer

mardi 29 novembre 2011

SOUVENIR

SOUVENIR
 Qu’y avait-il dans ce café arménien ?
La forte odeur du café,
Quelques tables,
Deux jeux de trictrac,
Et des vieux
Qui effilochaient un feutre paresseusement
Et avec une grande patience.
Moi je courais là pour ramener
Avec moi mon grand-père,
Ou m’asseoir sur les genoux d’autres grand-pères,
Ou tirer quelques fils de leur feutre
Et craintivement… un peu
Boire une gorgée de café.
Mon grand-père disait :
" Si tu bois du café, tu deviendras un garçon …"
Aujourd’hui le café d’autrefois n’est plus là,
Il n’y a plus les vieux qui y buvaient du café,
Et il n’y a plus cette petite fille –
Car dans les anciens cafés arméniens,
Les femmes jamais…ne buvaient de café …
 
                                                  Sevda SEVAN (1945-2009)
                                                   Ecrivaine bulgare
Traduit du bulgare en arménien par Kévork Emin
                                                  Traduit de l’arménien par Louise Kiffer
  
Je rappelle le texte émouvant de Sevda Sévan "  Ils marchaient dans le désert "
dans le site
Sevda SEVAN (1945-2009)
:
www.imprescriptible.fr/dossiers/sevan/babel

dimanche 27 novembre 2011

J'AI TOUT PLEURE

Dors, mon enfant, retourne dormir.
Tu n’as pas besoin de pleurer maintenant
Tu n’as pas besoin de verser des larmes maintenant
J’ai assez versé de larmes pour nous deux
Retourne dormir.
Les oies sauvages aveugles qui volaient dans les cieux noirs
vers notre maison, ont pleuré.
Elles ne pouvaient pas voir les cimes des montagnes à traverser.
Tu n’as pas besoin de pleurer
Tu n’as jamais besoin de pleurer.
Le vent gémissait dans les arbres ;
Tu n’as pas besoin de pleurer
J’ai tout pleuré.
Le vent gémissait dans les arbres
Pour nos morts sans sépulture
Tu n’a pas besoin de pleurer, nous avons tout pleuré.
La caravane qui passait, si triste, si lente,
Campait dans la Forêt la plus sombre
Il n’y a rien à faire…
On l’a nommée Calamité
Elle s’appelait MALHEUR ;
Tu n’as pas besoin d’être en deuil.
J’ai assez pleuré.


                                          Avédis AHARONIAN (1866-1948)

                                          Traduction Louise Kiffer

vendredi 25 novembre 2011

LE CHEMIN DE MON VILLAGE

Le vaisseau de la vie n’a pas laissé de traces dans son sillage,
L’oubli m’a pris toutes choses,
Mes anciens rêves disparaissent comme des nuages
Le souvenir passe aussi comme un chant.
* * *
Mon âme pourtant se souvient de toi,
Ô chemin fleuri de mon village
Où nous marchions, mon agneau et moi,
Vers le bosquet et le jardin de fleurs,
Comme le rêve de l’innocence.
A côté de toi, frémissant,
Glissait le joli ruisseau limpide,
Tantôt sous le pont, tantôt par le pré ;
Se cachant dessous, il s’éloignait,
Comme l’esprit de la solitude.
Minces, quelques maigres sentiers
Se séparaient de ton axe étroit :
L’un se dirigeait vers un simple village,
Il s’étendait, disparaissait,
Entourant chaumières et cabanes.
L’un escaladait la colline,
L’ autre descendait au fond du vallon
Où le saule donnait de l’ombre,
Où la flûte pleurait son chant
répété par les brises printanières.
Et l’hiver, quand la neige blanche
Nous trouvait réunis autour de l’âtre,
Elle rendait invisible sous ses plis
La route fine de notre vieux village,
Tout comme les prés et les violettes.
* * *
 
Le chemin droit de pierres taillées
Me mène à présent au bord de mer.
Mon cœur se serre néanmoins
D’une pensée brûlante,
Et je m’envole vers ma lointaine enfance.
 
 
…/…
Là-bas l’horizon était clos mais joli,
Paré de belles nuances,
Plein de multiples charmes.
L’innocence folâtrait en chemin,
Faisant des tours et des détours.
L’un escaladait la colline,
L’autre descendait au fond du vallon
Où le saule donnait de l’ombre,
Où la flûte pleurait son chant,
répété par les brises printanières.
* * *
 
Le vaisseau de la vie n’a pas laissé de traces dans son sillage
L’oubli m’a pris toutes choses
Mes anciens rêves disparaissent comme des nuages,
Le souvenir passe aussi comme un chant.
 
   

                                                           Traduction Louise Kiffer
 
 
 
 
      Izmir                                             Roupen VORPERIAN

jeudi 24 novembre 2011

EN ARMENIEN

Pourquoi ne parles-tu pas arménien ?
Moi je tresse des chants pour toi,
Tes sourcils fiers et arqués,
Tu descends des montagnes d'Arménie.

Pourquoi ne parles-tu pas arménien ?
Moi je tresse des chants pour toi,
Toi tu ne comprends pas ma langue
Moi je suis un mal-aimé, étranger à ton âme,
Mais à ta vue, enthousiaste !

Moi je tresse des chants pour toi,
Tes sourcils fiers et arqués,
Tels les cathédrales sublimes des Arméniens
Ton regard tamise la lumière de l'été
Tes yeux enflammés sont d'Arménie;
Tes sourcils fiers et arqués,
Tu descends des montagnes d'Arménie.
Comme notre léger mépris,
Ton regard si naïrien
Ton ravissement tellement arménien
Tu descends des montagnes d'Arménie.
Pourquoi ne parles-tu pas arménien ?

Tu t'envoles de Nork toi ma caille.
C'est Zankou qui t'a chanté une berceuse,
Le Massis te guette sublimement
Pourquoi ne parles-tu pas arménien ?

* (Nork est un quartier d'Erevan)
**( Zankou est une rivière d'Arménie)
 
                                      Naïri ZARIAN (1900-1969)

                                      traduction Louise Kiffer
 
 
 

mercredi 23 novembre 2011

CHANT DE VARTAN

Tout s’est tu :
Les nuages sont venus couvrir
Le ciel, et ont ôté la lune de ma vue.
Je suis resté seul, l’âme troublée,
Les mains sur la poitrine, la tête lourde.

Et depuis, tous les soirs,
J’attends le lever tranquille de la lune,
Et voyant sa face mélancolique
Je songe à l’état misérable de mon pays.

Ah, brille, scintille, lune mélancolique !
Que ton éclat illumine aussi l’Arménien.
Raconte à tous la mort de Vartan
Ou comment fut perdu le trône du peuple arménien,
Ou quel amour sublime éprouvait Vartan
Pour sa patrie : le monde d’ARMENIE 


                                      Raphaël BAGDANIAN (1830-1892)
                                         (pseudonyme : Kamar Katiba)


                                     Traduction Louise Kiffer

lundi 21 novembre 2011

CADEAU D'UNE ROSE

Une tendre âme, le soir,
Ayant appris que je n’avais
Plus rien d’intime,
M’a offert une rose, en automne.

J’ai pris la rose et l’ai portée
-une goutte de larme sous la paupière-
A mon vase d’albâtre
Pour que cesse sa tristesse.

Et voilà que reste en face de moi,
Comme une belle désillusion,
Mon vase paisible
Devenu maintenant un rêve.

Quel soir, toutefois,
Apportera au malade,
Devant le sombre abîme,
Une illusion belle et vaine ?

                                   Madthéos ZARIFIAN  (1894-1924)

                                    Traduction Louise Kiffer

ADIEU

Toi tu pars je ne sais où,
Silencieuse et triste,
Comme un astre doux et pâle

Moi je pars seul, mélancolique
Intempestif
Comme un pétale tombé d'une fleur

Toi, tu pars je ne sais où
Le cœur brisé
Cachant tes pleurs à mon regard.

Moi je pars en silence, sans un murmure
Mais dans mon coeur
Pénètre sans fin la douleur de la mort.

ADIEU (Hrajecht)

Toi tu pars je ne sais où,
Silencieuse et triste,
Comme un astre doux et pâle;

Moi je pars seul, mélancolique
Intempestif
Comme un pétale tombé d'une fleur

Toi, tu pars je ne sais où
Le cœur brisé
Cachant tes pleurs à mon regard.

Moi je pars en silence, sans un murmure
Mais dans mon coeur
Pénètre sans fin la douleur de la mort.

                                    Vahan TERYAN  (1885-1920)
       
                                     Traduction Louise Kiffer

samedi 19 novembre 2011

FAIS-TOI ENTENDRE O GRAND LAC !


Fais-toi entendre, ô grand lac, pourquoi es-tu silencieux.
Un être lamentable, tu ne me souhaites pas cette malchance ?
Levez-vous, zéphyrs, que flottent les vagues !
Mêlez mes larmes à ces ondes !


En Hayastan, dans les passages,
Depuis le début jusqu’à ce jour, je t’en prie, dis-moi
Le pays va-t-il toujours rester ainsi ?
Désert balayé par le vent, parfois jardin de fleurs.


Est-ce que toujours ainsi le peuple pitoyable,
Va être au service d’un seigneur étranger,
Est-ce qu’auprès du siège de Dieu,
Est indigne le Hay et l’enfant du Hay ?


Viendra-t-il, un jour, un temps,
Où l’on verra au sommet du Massis un drapeau,
Et de tous côtés les pèlerins du peuple Hay,
Se diriger vers leur charmante patrie ?


C’est difficile. Seul, ton recteur, là-haut,
Pourra vivifier l’âme arménienne.
Fais naître en elle la lumière de ta science,
Pour qu’en tant qu’êtres doués de raison,
Ils connaissent les pensées de la vie humaine
Et rendent par leurs œuvres gloire à leur maître.


RAFFI Hagop Mélik Hagopian

Traduction Louise Kiffer

vendredi 18 novembre 2011

'ANOUCHABOUR' (Puddding de Noël)

Ah ! si seulement un Père Noël venait
Nous apporter des cadeaux !
Si seulement il donnait, inépuisablement !
Si seulement un arbre s’élevait
De plus en plus haut chaque jour
Sans atteindre le ciel !
Ce que nous appelons la vie,
Ah, si c’était un pudding que nous pourrions manger,
Manger, manger, inépuisablement !



                                                                     ZAHRAD (1924-2007)

                                                                    Traduction Louise Kiffer

L'ENFANT DEVENU ETRANGER

Le cœur inquiet, pauvre et vraiment misérable,
La canne à la main, et très troublé,
Je suis retourné dans mon pays natal
Après avoir été à l'étranger pendant des années.
A cause du lourd fardeau de la vie, j'avais le dos courbé,
Je perdais la tête et j'étais très confus.
Je retournais de nouveau dans ma patrie
Après avoir franchi sept montagnes et sept mers.
A l'entrée du village, j'ai vu mon ami d'enfance,
Mon ami intime; et le cœur plein d'espoir
J'ai couru vers lui et lui ai dit: "alors mon ami, mon cher ami,
Tu ne te souviens plus de moi ?"
Mais j'avais tellement changé! Il ne pouvait pas me reconnaître.
Avec ma démarche la canne à la main, j'ai marché dans le village,
Je suis passé devant la maison de celle que j'aimais et j'ai vu mon amour une rose à la main.
Debout, seule, près de la porte. J'ai dit:
"Oh ! ma sœur, en souvenir de ton beau visage
Suis-je digne de ton salut ?"
Elle non plus ne m'a pas reconnu, j'étais très pauvre et couvert de poussière.
Le cœur troublé, je suis arrivé dans notre maison
Où j'ai vu ma pauvre vieille maman. J'ai dit:
"Mayrig, je suis un passant, veux-tu me donner un abri pour ce soir ?"
Ma précieuse maman se jeta dans mes bras
Et me serra longuement sur son cœur, pleurant sans cesse.
"Oh ! Mon chéri, mon cher étrange fils, est-ce vraiment TOI ? "
 

                                                         Mouchegh ISHKHAN (1913-1990)

                                                         Traduction Louise Kiffer
 
 
 
 
 
1918.
Traduction Louise Kiffer –
Moushégh ISHKHAN (1913-1990)
Outre ses poèmes, ce poète a publié deux romans, inspirés de la vie des
orphelins du génocide:

"Pour le Pain et l'Amour" – Beyrouth 1956
(Krikor Bélédian: "Cinquante ans de littérature arménienne en France" CNRS Ed.) 
 
 
www.nt.am 22/10/07 N° 42, page 13"Pour le Pain et la Lumière" – Beyrouth 1951

jeudi 17 novembre 2011

L'AME ARMENIENNE

 
L’AME ARMENIENNE
 
Ne me demandez pas ce qu’est, où est,
D’où vient l’âme arménienne.
Comme le soleil est au feu
Comme le vert est aux champs
Ah, juste comme cela, elle est partout
L’âme arménienne.
De nos vents, de nos montagnes
Du ruisseau dans nos champs,
Elle est le cri
L’âme arménienne
Du vent de nos champs, elle est la mélodie,
Nos sources sonores, comme des psaumes et des cantiques.
Des lucarnes l’encensoir, et des braseros brûlants,
D’une prière ardente, et comme l’encens vers le ciel,
Elle est la fumée bleue
L’âme arménienne
Ne demandez pas d’où elle vient, ni par quel chemin,
Venue de ce robuste Haïk, le carquois à l’épaule,
Digne beauté,
Elle est venue de l’éclair de l’épée de David,
De nos ancêtres païens,
Des feux flambants des sacrifices, elle est venue à nous,
L’âme arménienne.
Elle est venue du front de nos champs de bataille,
Multitude de javelots, flèches et boucliers blindés de fer,
Hommes casqués et chevaux, assauts, sang.
De ces chemins de sang et de larmes elle est venue,
L’âme arménienne.
Elle est venue de notre histoire victorieuse d’Avaraïr,
Des mille et une coupoles de la joyeuse Ani,
Et des tintements de nos mille cloches,
De l’abondance répandue sur nos terres,
Telle les semences, elle est le cœur vivant
L’âme arménienne
Elle vient à nous par le chemin pierreux des monastères,
Par le chemin fréquenté église-collège.
Par le triste chemin des os de nos pères, par le cimetière.
Elle descend avec le soleil, sur nos champs, sur nos cœurs,
Et à l’Ararat majestueux, inaccessible, elle vient par un chemin secret
L’âme arménienne.
L’âme arménienne est le cri d’amour des jeunes filles et des jeunes gens
Couronne royale, cordon multicolore des mariages.
C’est le chant heureux, tambour et cymbales, sourire d’argent,
Danse des jeunes filles avec douceur.
Des mères arméniennes bonnes et compatissantes, c’est des flacons pleins d’huile sainte
De leurs yeux que s’écoule
L’âme arménienne.
C’est la littérature séculaire de nos aïeux et l’ancienne langue.
De la neige de l’hiver, de la cellule du monastère de Nareg elle est la lumière ;
Recueil de chants d’une écriture vieille, vieille sur parchemin,
Et de Mesrop la tombe et le rêve,
Elle est l’alphabet,
L’âme arménienne.
Elle est notre langue au parfum d’Orient, à la fois corps et âme ;
Elle se partage comme une hostie, une communion et un petit pain.
Elle se partage comme le corps, comme le vin,
Vin et pain de messe,
L’âme arménienne.
C’est cette âme qui émigre, qui se met en route,
Quittant notre ciel et notre terre, et qui trouve
Quelque part un Arménien avec qui discuter.
Il sourit, il s’attriste, et verse des larmes avec lui.
Et il veille à ce qu’aucun Arménien ne se détourne du chemin lumineux,
Ce chemin lumineux de notre âme, qui nous emmène
Vers notre terre et notre ciel.
L’âme arménienne.
Quoi que vous disiez, c’est encore peu,
Qu’est-ce vraiment que l’âme arménienne ? Si vous regardez dans votre coeur
Vous verrez une vieille armée casquée,
Vous trouverez la sagesse et la lumière de nos monastères.
Dans votre cœur vous trouverez,
Cachée dans vos montagnes et vos rochers,
Cachée comme un écho,
L’âme arménienne.
 

                                                                   Traduction Louise Kiffer 
 
 
 
 
                                                        Hamastegh (1895-1966)

dimanche 13 novembre 2011

UN JOUR D' AUTOMNE

Un jour d'automne, au retour de l'école, me voyant revenir
Le cœur brisé, ma mère me demanda doucement :
" Pourquoi es-tu si triste , mon fils ?"

Je n'ai pas su tout de suite comment m'exprimer,
Aussi s'approcha-t-elle encore une fois de moi et me demanda:
"Qu'est-il arrivé, mon cher enfant ?"

Tu sais, maman, le père de mon ami Hovnan est mort,
Lui qui n'a déjà plus sa mère;
Tout ce qui lui reste, c'est une grand'mère.

Ma mère devint vraiment triste en entendant mes paroles,
Elle m'embrassa sur les yeux, me serra dans ses bras, et me dit aussi:
Ne t'inquiète pas, mon cher Ashot,
Ton ami ne restera ni pauvre, ni nu,
Nous essaierons de l'aider autant que possible".

Maintenant tous les matins, en route pour l'école,
Ma mère prépare soigneusement,
Mon panier de déjeuner pour l'école.

Elle met deux portions de petit déjeuner,
Une pour moi et une pour mon ami,
Elle a cousu deux habits neufs,
Un pour moi et un pour mon ami.

Elle achète des jouets pour moi,
Un pour moi et un pour mon ami.
Elle nous accompagne au théâtre,
Mon ami et moi.

Ma mère m'assure toujours,
De sa voix tendre et aimante,
"Qu'il ne sente jamais, tant qu'il vit,
qu'il est un orphelin dans ce monde".

Dans cette grande patrie florissante,
Qui est la sienne,
Qu'au lieu d'avoir un seul enfant,
J'aie le plaisir d'élever encore un autre enfant.

                                                   SARMEN (1901-1984)

                                                   traduction Louise Kiffer








 

PRINTEMPS

Oh ! Comme il souffle, doux et frais,
Le petit vent des matins,
Sur les fleurs en les choyant,
Et les cheveux de la jeune fille délicate.
Mais tu n’es pas le petit vent de ma patrie,
Va-t-en, passe, loin de mon cœur.
Oh ! avec quelle douceur et quelle ardeur
Tu chantes, petit oiseau, à travers les arbres !
Les heures d’amour dans la forêt
Furent charmées par ta voix.

Mais tu n’es pas un oisillon de ma patrie,
Va-t-en, chante hors de mon cœur.
Oh ! quel murmure tu rends,
Rivière limpide et tranquille !
Dans ton miroir pur
Se regardent la rose et la jeune fille.
Mais tu n’es pas la rivière de ma patrie
Va-t-en, coule hors de mon cœur.
Bien que l’oiseau et le vent d’Arménie
Volent au-dessus des ruines,
Bien que la rivière d’Arménie
Rampe, trouble, parmi les cyprès,
Ce sont les soupirs de la patrie,
Qu’ils ne s’éloignent pas de mon cœur !

                            Mgrditch BECHIGTACHLIAN (1828-1868)
                            Traduction Louise Kiffer

AUX ORPHELINS DE CORFOU

O Corfou, dans l’anneau de ton charme,
Tu me tiens et m’emmènes…
O toi, jardin jeté sur les eaux,
Tu berces et berces mon cœur avec le mouvement de tes flots !
O combien t’ont choyée, embrassée, les vagues,
Combien de creux ont-elles faites
Dans tes rives…T’abandonnant à elles,
Comme tu es restée fraîche et propre… !
De tes vallées
Et des flans rocheux de tes collines,
Combien d’oliviers, avec des bras ouverts,
Doux, apaisants, descendent jusqu’à la mer…
Tes orangers épais, ombre parfumée,
Recouvrent les plaines,
Tandis que ton ciel nocturne, si pur,
Est une forêt obscure constellée d’oranges…
Qu’il était bon, Corfou, d’oublier dans tes bras
Présent et passé…
Au-dessous de ton azur, au-dessus de ton azur,
Etre comme un arbrisseau, immobile et léger… !
Mais voici que des yeux anxieux, affligés
S’allument, s’éteignent…
Et moi j’avais oublié que la mer a traîné et apporté
Aussi jusqu’ici un enfer de douleur…
O Corfou, l’anneau de ton charme, soudain,
Je le trouve brisé…
Berceau jeté sur les flots,
Berce, toi, berce les cœurs des enfants arméniens…


                                    Vahan TEKEYAN (1878-1945)
                                    Traduction Louise Kiffer

vendredi 11 novembre 2011

VISION DE MORT

Massacres, massacres, massacres !
Dans les villes natales et hors des villes natales,
Et les barbares saccageant et revenant couverts du sang
Des morts et des agonisants.
Des multitudes de corbeaux passent au-dessus,
Avec des becs pleins de sang et des éclats de rire d’ivrognes….
Un même vent étrangle de rage les mourants ;
Et des convois de femmes sans voix et souffrantes
S’enfuient précipitamment par les larges routes…
Du sein de la nuit s’élève l’odeur du sang
Qui esquisse, avec les arbres, des étangs.
Et de toutes parts, avec terreur, se précipitent, harcelés,
Les troupeaux de bétail à travers les champs de blé incendiés…
Dans les rues, je vois des générations égorgées
Et des foules revenant de carnages indicibles…
Une chaleur tropicale s’élève
Des nobles villes qu’on incendie…
Et sous la neige qui tombe avec le poids du marbre,
La solitude des ruines et des morts a froid.
Oh ! écoutez l’effrayant crissement des corbillards
Sous le poids des cadavres empilés dessus,
Et les prières des hommes endeuillés en larmes !
Ils s’allongent par un sentier vers la fosse commune.
Ecoutez les derniers bruits des agonisants
Accompagnés des coups du vent qui massacre les arbres…
Oh ! ne vous approchez pas, ne vous approchez pas,
Surtout n’approchez pas des cimetières, ni de la mer !
Sur les eaux rouges, je distingue au loin des bateaux
Contenant des morts entassés ;
Et sur les entrailles se tordant de douleur,
M’apparaissent des crânes et des jambes…
Ecoutez, écoutez, écoutez,
Le rugissement de la tempête dans les vagues de la mer !
Massacres, massacres, massacres !
Ecoutez, écoutez, écoutez,
Le hurlement funèbre des chiens terrifiés
Qui m’arrive des vallées et des cimetières.
Oh ! fermez les fenêtres, et aussi vos yeux…
Massacres, massacres, massacres… !
 
 
                                            SIAMANTO- 1878-1915
                                          traduction Louise Kiffer

dimanche 6 novembre 2011

MOTS D’UN ELOIGNEMENT

MOTS  D’UN  ELOIGNEMENT

Il y a tant de feux que j’ai éteints, dans mes yeux
et dans mon âme, désespéré, tant d’astres que j’ai éteints.
Ma vie, devenue  souvenir ; ne maudis pas mon départ au loin,
Ma vie passe et s’éteint, mais il y a mon amour, qui vit encore.

Ma vie passe, s’éteint, comme un feu dans un marécage,
 Sans projet et indécis, inconsolé et désespéré.
Dans mes chants, -le sais-tu ?- personne ne me connaît,
Comme si un autre chantait, la nostalgie bleue de mon âme

Eternellement fermé et muet, je vagabonde et me tais.
Personne, personnne ne sait, ce que peut être ma vie, fière.
Moi seul sais, dans la vie, quels chants j’ai écrits.
Je sais aussi que toi, tu es, Et que quelqu’un t’aime.

Moi, je chante ton âme, ton sourire lumineux,
De tes yeux et  ton visage la tristesse sacrée.
Laissant ma vie infinie, je chante le profond amour
Et le regret de mes bras qui ne t’ont jamais atteinte…

Ah ma sœur, voilà que s’approche mon soir nébuleux
Que puis-je faire pour que mon âme ne tressaille pas de regret,
Comment, comment, puis-je accepter la coupe vidée de ma vie,
Pour que mes mains ne tremblent pas,  que mes jours me pardonnent.

Et soudain j’ai un doute, je ne sais pas moi-même,
Et si c’était une illusion la nostalgie sacrée de ton âme ?…
Quoi que ce soit, sœur, ma sœur, ne maudis pas mon éloignement,
La pauvre nostalgie de mes bras qui jamais ne t’ont atteinte.

                                                      1917
                                                      Yéghiché  TCHARENTS  (1897-1937)
                                                       traduction Louise Kiffer

samedi 5 novembre 2011

C'ETAIT BON !

 (anouch yéghav)

Hé, amis, apportez le vin
Que tout le monde soit content
Nous ne sommes pas tous les jours ensemble,
Pour faire la fête, buvons le vin !

Celui qui a parlé avec crainte et effroi
Celui qui a versé de l'eau dans sa coupe;
Puisqu'on vit, profitons-en
Puisqu'on boit, buvons à notre tour !

Faisons rouler la grosse barrique,
Que le vin rouge pétille !
Celui qui est ivre, ce que nous buvons
Est déjà plein, de bouche en bouche.

 Eh, Tamata*  arrête ton discours,
Si tu es saoûl, va te coucher,
Le vin s'est aigri, le repas a gelé.
"C'était bon" "Bonsoir" !

Celui qui a parlé avec crainte et effroi
Celui qui a versé de l'eau dans sa coupe;
Puisqu'on vit, profitons-en
Puisqu'on boit, buvons à notre tour !
_________________
( Le Tamata est celui qui est chargé de porter les toasts à chaque « santé ».
Il se lève et prononce un vœu ou fait un petit discours tout le long du repas.)

                                                                                  Kévork EMIN (1918-1998)     

                                                                                   Traduction Louise Kiffer  
                                   

vendredi 4 novembre 2011

                 MA MERE


Ma mère est la porte de notre espoir,
Ma mère est la chapelle de notre maison,
Ma mère est notre berceau,
Ma mère est la forteresse de notre maison,
Ma mère est notre père et mère,
Ma mère est notre vassale et notre maître,
Ma mère est la simple de notre maison,
Ma mère est la majestueuse de notre maison,
Ma mère est la sans domicile de notre maison,
Ma mère est notre nid d'aigle,
Ma mère est la servante de notre maison,
Ma mère est la souveraine de notre maison,
Ma mère est le petit de notre maison,
Ma mère est notre pain et notre eau,
Ma mère est l'incapable de notre maison,
Ma mère est notre médicament et notre remède,
Ma mère est la fontaine de notre maison,
Ma mère est notre soeur assoiffée,
Ma mère est l'insomniaque de notre maison,
Ma mère est notre doux sommeil,
Ma mère est la bougie de notre maison,
Ma mère est notre soleil resplendissant.
Ah ! ma mère est la Sis* de notre maison,  
Elle est l’Ararat de notre maison, ma mère,

Ma mère, c'est notre pain, ma mère,
C'est le Dieu de notre maison, ma mère …

                       
(Sis, l’ancienne capitale de l’Arménie)

                                                                  Hovhannès CHIRAZ (1914-1984)

                                                                 Traduction par Louise Kiffer
 

mercredi 2 novembre 2011

ODE D' AMOUR

La nuit est douce, la nuit est délicieuse
Ointe de hashish et embaumée ;
Par le chemin de lumière, moi je passe, ivre
La nuit est douce, la nuit est délicieuse…

Des baisers viennent, du vent et de la mer
Baisers de la lumière qui fleurit de tous côtés
Cette nuit est fériée, un dimanche pour mon âme
Des baisers viennent, du vent et de la mer.

Mais la lumière de mon âme peu à peu s’éteint
Ma lèvre n’a soif que de baiser…
C’est une nuit d’allégresse, de clarté lumineuse,
Mais la lumière de mon âme peu à peu s’affaiblit.


(« Arc-en-Ciel »)                       Missak MEDZARENTS  (1886-1908)

                                                   Traduit de l’arménien par  Louise kiffer

lundi 31 octobre 2011

DANS LA VIGNE


 
Près des murs des vignes opulentes,
murmurent doucement des hommes insouciants.
De là, leurs visages observent
des rangées d'arbres lourdement chargés de fruits.

Ici, c'est la pêche veloutée qui va se détacher,
opulente et rougissante, de sa verte queue,
De la grenade crevassée, le sang coule goutte à goutte,
tandis que la riche branche se balance courbée.

Ici le souchet et l'olinet, là la poire au parfum de miel,
Ici, le coing, pays soumis,
Plus loin sourit la pomme timide,
une joue dorée, l'autre rouge.

                                                                       Sempad CHAHAZIZ (1841-1907)

                                                                       Traduit de l'arménien par Louise KIffer

dimanche 30 octobre 2011

SARDARABAD

Quand il n’y a plus de sortie ni d’issue,
Ce sont les fous qui trouvent le moyen ;
Ainsi est né, ensoleillé,
Notre combat de Sardarabad.

Sonnez clairons !
Appelez les vaillants sacrés,
Sous ce  mur juste.
Générations, reconnaissez-vous,
A Sardarabad.

A Avaraïr, nous avons employé nos forces,
Ici, nous nous sommes arrêtés un moment,
Hors d’haleine, pour reprendre souffle
Sous le mur de Sadarabad.

Sonnez, clairons !
Appelez les vaillants sacrés,
Sous ce mur juste.
Générations, reconnaissez-vous,
A Sardarabad.

Mais nous ne sommes pas tombés, nous sommes toujours debout,
Nous ne nous sommes pas reposés, nous sommes encore debout,
Quand sonnera le clairon, l’alarme,
Pour que nous payions la dette de notre âme.

Sonnez clairons !
Appelez les vaillants sacrés,
Sous ce  mur juste.
Générations, reconnaissez-vous,
A Sardarabad.


                                                       Barouïr SEVAG (1924-1972)

                                                       Traduit de l’arménien par Louise Kiffer

vendredi 28 octobre 2011

Les yeux souriants

Toi, ne crois pas aux yeux souriants.
Souvent ce sont des fleurs luisantes,
Poussant au fond d’un ravin perdu,
Pour attirer les hommes candides.

Voilà le poète enivré par la séduction,
Déjà captif des yeux souriants.
Ah ! qu’il a été tourmenté, a tant souffert d’être dupé,
Et que de plaintes dans son cœur…

Toi, ne te laisse pas trop prendre par les yeux souriants
Souvent ce sont des fleurs luisantes,
Qui germent sur les ruines du cœur
Pour couvrir les tristes décombres.

Un homme qui a souffert, voilà le poète,
Qui a tant de plaintes dans le cœur.
Mais souvent il sourit si joyeusement !
On dirait qu’il a plus de chance que toi.


                                                     Hovannès TOUMANIAN  (1869-1923)

                                                     Traduit de l’arménien par Louise Kiffer

jeudi 27 octobre 2011

Douce brise (barcarolle)

Voici levée la lune d’argent
A travers l’ombre des nuages noirs
Et voici la barque parée
Glissant hors des rochers

Douce brise, souffle légèrement
Et apporte vers moi des myriades de fortes  vagues


Dans la barque ma belle
Allongée sous la lune insouciante
Accompagne sa guitare
D’une voix claire et puissante

Douce brise, souffle légèrement
Et apporte vers moi sa tendre chanson


De sa voix, elle chante l’amour et la caresse
Toute émotion et frisson
Et maintenant jeune fille, chant et musique
Tourne vers moi tes yeux de braise

Douce brise, souffle légèrement
Et  apporte vers moi le chant et la jeune fille.



 Levon CHANTH

traduit de l'arménien par  Louise Kiffer

mardi 25 octobre 2011

Bingoel


Quand les portes vertes du printemps s'ouvrirent
Les sources de Bingoel devinrent des lyres.
Les chameaux deux par deux passèrent en file
Ma bien-aimée partit aussi dans les pâturages de Bingoel.

Je languis du visage lumineux de ma précieuse bien-aimée,
 de sa taille fine, de ses cheveux ondulés,
 de sa douce langue, de son parfum suave,
je languis de cette biche aux yeux noirs de Bingoel.

Eaux fraîches, si fraîches, ma lèvre assoiffée ne s'ouvre pas,
Fleurs ondoyantes, mes yeux en larmes ne s'ouvrent pas,
Tant que je ne vois pas ma bien-aimée, mon cœur ne s'ouvre pas.
Que m'importent, hélas, les rossignols de Bingoel !

Je me suis égaré, les chemins ne me sont pas familiers,
Les innombrables lacs, fleuves et rochers ne me sont pas familiers.
Je suis un émigré, ces lieux ne me sont pas familiers.
Dis, ma sœur, lequel est le chemin de Bingoel ?

                               Avédilk  ISSAHAKIAN
Traduit de l'arménien par Louise Kiffer
 

lundi 24 octobre 2011

A ma petite colombe

Belle, belle, belle, rose de mon Printemps,
Qui t’es ouverte sur mon cœur,
Et a déployé avec toi  en mon âme affligée
Un nouveau rêve resplendissant.

Le vieux berceau qui, tel un vase abandonné,
Devenait une paillasse pour l’araignée,
A repris vie avec tes gazouillements, comme un nid
S’est enjolivé de nouveau.

Un soleil neuf, avec les rayons de tes yeux,
Sur mon seuil s’est éclos,
Et dans sa cage ma perdrix blessée,
A entonné un chant convoité.

Toi, de chambre en chambre tu t’es envolée légèrement
Comme un oisillon tombé du nid,
Enchantés par ta voix sont arrivés dans ma maisonnnette
Des séraphins lumineux.

Belle, belle, belle, rose de mon Printemps,
Viens t’asseoir sur mes genoux,
Qu’un doux clair de lune inonde ma poitrine
De tes soyeux cheveux dorés.

Enchaîne mon cou de tes bras délicats
Semblables à un collier de fleurs ;
Souris-moi, pour que le froid chaos de mon cœur,
S’embrase avec l’aurore.

Parle-moi, avec le langage inconnu, que toi
Tu as apporté du ciel avec toi,
La rose déploie son chatoiement, et la lèvre de l’enfant
Le rouge du doigt divin.

Vois comme le clair de lune me regarde
Au fond du sépulcre ténébreux ;
Mon amour mort va ressusciter
Et va vivre pour toi.

Pour toi, dont la chair est constituée
De pétales de lys,
Dont les manches de chemise embaumées d’huile sainte
Sont tissées selon l’image des papillons.

Pour toi, ô mon poème immortel
Que j’ai conçu avec mon sang,
Que j’ai chanté en pinçant les cordes de mon cœur,
La corde la plus sensible.

Seule ta main me fait tenir debout
Sur les sables de ma gloire
Et un seul de tes cheveux suffit à attacher
Mon âme à l’univers.

Ma petite Colombe, ma tendre déesse,
Qui…chante ta douce âme,
Laisse mes larmes qui coulent sur tes joues
Devenir des rires ou des rubis.

Que tes pupilles pulvérisent les astres du ciel
Sur mon front ridé !
Qui a tenu au-dessus de lui, comme une couronne
Les profondes blessures de mon cœur.

Car moi je suis le néant devenu heureux
A la lumière d’un ver luisant.
Je suis le désert, qui sourit au ciel,
Pour sa plante qui a germé.

Daniel Varoujan
traduit de l'arménien par Louise Kiffer

Ce poème est dédié à sa fille âgée de un an qui l’appelait déjà « Hayrig » (Petit père)
* * *
Note : Daniel Varoujan - Tchiboukérian (1884-1915) est l’un de nos plus grands poètes arméniens. Dans la nuit du 11 avril 1915 il a été arrêté avec les intellectuels arméniens de Constantinople. Déporté dans les déserts, il a été sauvagement assassiné le 24 août 1915.
Sa fille unique, Véronica Safrasian – Tchiboukérian était née à Peternik, un village de Sébastia, le 6 juin 1910. Après la mort de son père, elle fit ses études à Genève, puis elle alla aux USA en 1930. Elle devint bibliothécaire à New-York jusqu’en 1982. Elle est décédée  le 2 février 2009 à Purdys, N.Y à l’âge de 98 ans.

Le jour s'est obscurci




Le jour s’est obscurci, c’est déjà l’heure
Du dîner,
Ma tristesse, peu à peu,
Se transforme en pleurs.
Une voûte céleste laiteuse,
Une lune écornée,
Descendaient sur les cimes
Des meules sereines et dociles.
Intimidés les uns par les autres,
Serrés et silencieux,
Les nôtres s’asseyaient, en rang,
Petits et grands ;
Ils étaient assis et attendaient
Jusqu’à la venue de grand-père
Jusqu’à ce que dans la cour,
Tinte la clarine de "Fleur"
Le bœuf.
Grand-père arrivait en tête de table,
Il s’asseyait rapidement,
Et la maison s’emplissait
D’arômes et de bruissements champêtres.
Et quand grand’mère prenait en main
Sa vieille louche,
Les cuillères tout naturellement
Devenaient bruyantes.
La vapeur chaude de la soupe au lait
Se heurtait à la poutre
Et s’écoulait en perles rondes
Le long du pilier.
Une famille travailleuse,
Simple et naïve
Dégustait la soupe au lait chaude,
Le lavach et l’aneth……
Aujourd’hui, de cette grande famille,
Il n’y a plus personne…
Il ne reste que moi seul, en souvenir,
Et comme témoin.
Le jour s’est obscurci, c’est déjà l’heure
Du dîner ;
Ma tristesse, peu à peu,
Se transforme en pleurs.

Hamo SAHIAN (1914 - 1993)
Traduction Louise Kiffer