Moi j'aime ton visage, ton visage, ma douce maman, le calme de tes yeux,
si bons et si doux, moi j'aime ton front, ton front ridé depuis longtemps,
et tes cheveux argentés, tes cheveux, ma douce maman.
Moi j'aime tes mains rayées du bleu de tes veines, les rides de ton visage,
de ton visage, ma douce maman, bien que déjà vieillie, tellement usée, pourtant encore dans la tête les mille soucis du lendemain.
Comment peux-tu dans ton cœur faire tenir tout un ciel ? comment peux-tu dans ton sourire faire tenir tout le soleil ? Comment ? Comment peux-tu ? Comment, ma douce maman ? dans une goutte de tes larmes, faire tenir tout ton cœur .
Tes enfants, hier encore, accouraient sur tes genoux, et puis encore bruyamment s'échappaient de tes bras. Aujourd'hui ce sont tes petits-enfants qui viennent, comme le jeu des jours anciens, comme le jeu des vagues bleuâtres accourant vers la rive.
Quand tu es silencieuse et assise, un châle jeté sur tes épaules, c'est le fil de tes souvenirs que tu enroules autour du fuseau des jours anciens, tu évoques la maison paternelle, les chemins ensoleillés où tu passais en dansant avec les vents légers.
Et tu revois les blés dorés dans les champs, le clocher du monastère, comme s'il était toujours au loin. Et tu te rappelles comment mon père, amoureux de toi, par le chemin des vignes, venait toujours derrière toi.
Et tu racontes comment le soleil là-bas, était tout autre. Le parfum des fleurs,
le goût des herbes, étaient tout autres. Et le son de la cloche du monastère, sous la montagne, était tout autre. Hélas, c'était tout autre, tout autre, même le goût du pain était tout autre.
Et tu racontes qu'il n'y avait pas, dans le monde entier, il n'y en avait pas deux
Qui récitaient des poèmes d'une voix retentissante comme Alexanents, pas
deux comme le pharmacien Lokman avec ses remèdes, comme l'instituteur Avakents, comme David habile et vigoureux qui arrachait les arbres
par leurs racines, il n'y avait pas, il n'y avait pas un vieux sage savant comme Maroukents.
Maintenant, vieillie depuis longtemps, un châle jeté sur tes épaules,
Tu racontes à tes petits-enfants, les contes de tes souvenirs. Et tu te rappelles, tu te rappelles, combien c'était réel.
Ton conte ensoleillé, aux mille couleurs.
J'ai erré de pays en pays, je suis passé par beaucoup de chemins, j'ai vu les privations, j'ai vu la souffrance, j'ai vu aussi l'amour et la gaîté,
mais je n'ai pas vu, je n'ai pas trouvé un seul cœur aussi vaillant,
une âme aussi vaillante que la tienne, ma douce et bonne maman.
HAMASDEGH (1895-1966)
Traduction Louise Kiffer