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lundi 31 octobre 2011

DANS LA VIGNE


 
Près des murs des vignes opulentes,
murmurent doucement des hommes insouciants.
De là, leurs visages observent
des rangées d'arbres lourdement chargés de fruits.

Ici, c'est la pêche veloutée qui va se détacher,
opulente et rougissante, de sa verte queue,
De la grenade crevassée, le sang coule goutte à goutte,
tandis que la riche branche se balance courbée.

Ici le souchet et l'olinet, là la poire au parfum de miel,
Ici, le coing, pays soumis,
Plus loin sourit la pomme timide,
une joue dorée, l'autre rouge.

                                                                       Sempad CHAHAZIZ (1841-1907)

                                                                       Traduit de l'arménien par Louise KIffer

dimanche 30 octobre 2011

SARDARABAD

Quand il n’y a plus de sortie ni d’issue,
Ce sont les fous qui trouvent le moyen ;
Ainsi est né, ensoleillé,
Notre combat de Sardarabad.

Sonnez clairons !
Appelez les vaillants sacrés,
Sous ce  mur juste.
Générations, reconnaissez-vous,
A Sardarabad.

A Avaraïr, nous avons employé nos forces,
Ici, nous nous sommes arrêtés un moment,
Hors d’haleine, pour reprendre souffle
Sous le mur de Sadarabad.

Sonnez, clairons !
Appelez les vaillants sacrés,
Sous ce mur juste.
Générations, reconnaissez-vous,
A Sardarabad.

Mais nous ne sommes pas tombés, nous sommes toujours debout,
Nous ne nous sommes pas reposés, nous sommes encore debout,
Quand sonnera le clairon, l’alarme,
Pour que nous payions la dette de notre âme.

Sonnez clairons !
Appelez les vaillants sacrés,
Sous ce  mur juste.
Générations, reconnaissez-vous,
A Sardarabad.


                                                       Barouïr SEVAG (1924-1972)

                                                       Traduit de l’arménien par Louise Kiffer

vendredi 28 octobre 2011

Les yeux souriants

Toi, ne crois pas aux yeux souriants.
Souvent ce sont des fleurs luisantes,
Poussant au fond d’un ravin perdu,
Pour attirer les hommes candides.

Voilà le poète enivré par la séduction,
Déjà captif des yeux souriants.
Ah ! qu’il a été tourmenté, a tant souffert d’être dupé,
Et que de plaintes dans son cœur…

Toi, ne te laisse pas trop prendre par les yeux souriants
Souvent ce sont des fleurs luisantes,
Qui germent sur les ruines du cœur
Pour couvrir les tristes décombres.

Un homme qui a souffert, voilà le poète,
Qui a tant de plaintes dans le cœur.
Mais souvent il sourit si joyeusement !
On dirait qu’il a plus de chance que toi.


                                                     Hovannès TOUMANIAN  (1869-1923)

                                                     Traduit de l’arménien par Louise Kiffer

jeudi 27 octobre 2011

Douce brise (barcarolle)

Voici levée la lune d’argent
A travers l’ombre des nuages noirs
Et voici la barque parée
Glissant hors des rochers

Douce brise, souffle légèrement
Et apporte vers moi des myriades de fortes  vagues


Dans la barque ma belle
Allongée sous la lune insouciante
Accompagne sa guitare
D’une voix claire et puissante

Douce brise, souffle légèrement
Et apporte vers moi sa tendre chanson


De sa voix, elle chante l’amour et la caresse
Toute émotion et frisson
Et maintenant jeune fille, chant et musique
Tourne vers moi tes yeux de braise

Douce brise, souffle légèrement
Et  apporte vers moi le chant et la jeune fille.



 Levon CHANTH

traduit de l'arménien par  Louise Kiffer

mardi 25 octobre 2011

Bingoel


Quand les portes vertes du printemps s'ouvrirent
Les sources de Bingoel devinrent des lyres.
Les chameaux deux par deux passèrent en file
Ma bien-aimée partit aussi dans les pâturages de Bingoel.

Je languis du visage lumineux de ma précieuse bien-aimée,
 de sa taille fine, de ses cheveux ondulés,
 de sa douce langue, de son parfum suave,
je languis de cette biche aux yeux noirs de Bingoel.

Eaux fraîches, si fraîches, ma lèvre assoiffée ne s'ouvre pas,
Fleurs ondoyantes, mes yeux en larmes ne s'ouvrent pas,
Tant que je ne vois pas ma bien-aimée, mon cœur ne s'ouvre pas.
Que m'importent, hélas, les rossignols de Bingoel !

Je me suis égaré, les chemins ne me sont pas familiers,
Les innombrables lacs, fleuves et rochers ne me sont pas familiers.
Je suis un émigré, ces lieux ne me sont pas familiers.
Dis, ma sœur, lequel est le chemin de Bingoel ?

                               Avédilk  ISSAHAKIAN
Traduit de l'arménien par Louise Kiffer
 

lundi 24 octobre 2011

A ma petite colombe

Belle, belle, belle, rose de mon Printemps,
Qui t’es ouverte sur mon cœur,
Et a déployé avec toi  en mon âme affligée
Un nouveau rêve resplendissant.

Le vieux berceau qui, tel un vase abandonné,
Devenait une paillasse pour l’araignée,
A repris vie avec tes gazouillements, comme un nid
S’est enjolivé de nouveau.

Un soleil neuf, avec les rayons de tes yeux,
Sur mon seuil s’est éclos,
Et dans sa cage ma perdrix blessée,
A entonné un chant convoité.

Toi, de chambre en chambre tu t’es envolée légèrement
Comme un oisillon tombé du nid,
Enchantés par ta voix sont arrivés dans ma maisonnnette
Des séraphins lumineux.

Belle, belle, belle, rose de mon Printemps,
Viens t’asseoir sur mes genoux,
Qu’un doux clair de lune inonde ma poitrine
De tes soyeux cheveux dorés.

Enchaîne mon cou de tes bras délicats
Semblables à un collier de fleurs ;
Souris-moi, pour que le froid chaos de mon cœur,
S’embrase avec l’aurore.

Parle-moi, avec le langage inconnu, que toi
Tu as apporté du ciel avec toi,
La rose déploie son chatoiement, et la lèvre de l’enfant
Le rouge du doigt divin.

Vois comme le clair de lune me regarde
Au fond du sépulcre ténébreux ;
Mon amour mort va ressusciter
Et va vivre pour toi.

Pour toi, dont la chair est constituée
De pétales de lys,
Dont les manches de chemise embaumées d’huile sainte
Sont tissées selon l’image des papillons.

Pour toi, ô mon poème immortel
Que j’ai conçu avec mon sang,
Que j’ai chanté en pinçant les cordes de mon cœur,
La corde la plus sensible.

Seule ta main me fait tenir debout
Sur les sables de ma gloire
Et un seul de tes cheveux suffit à attacher
Mon âme à l’univers.

Ma petite Colombe, ma tendre déesse,
Qui…chante ta douce âme,
Laisse mes larmes qui coulent sur tes joues
Devenir des rires ou des rubis.

Que tes pupilles pulvérisent les astres du ciel
Sur mon front ridé !
Qui a tenu au-dessus de lui, comme une couronne
Les profondes blessures de mon cœur.

Car moi je suis le néant devenu heureux
A la lumière d’un ver luisant.
Je suis le désert, qui sourit au ciel,
Pour sa plante qui a germé.

Daniel Varoujan
traduit de l'arménien par Louise Kiffer

Ce poème est dédié à sa fille âgée de un an qui l’appelait déjà « Hayrig » (Petit père)
* * *
Note : Daniel Varoujan - Tchiboukérian (1884-1915) est l’un de nos plus grands poètes arméniens. Dans la nuit du 11 avril 1915 il a été arrêté avec les intellectuels arméniens de Constantinople. Déporté dans les déserts, il a été sauvagement assassiné le 24 août 1915.
Sa fille unique, Véronica Safrasian – Tchiboukérian était née à Peternik, un village de Sébastia, le 6 juin 1910. Après la mort de son père, elle fit ses études à Genève, puis elle alla aux USA en 1930. Elle devint bibliothécaire à New-York jusqu’en 1982. Elle est décédée  le 2 février 2009 à Purdys, N.Y à l’âge de 98 ans.

Le jour s'est obscurci




Le jour s’est obscurci, c’est déjà l’heure
Du dîner,
Ma tristesse, peu à peu,
Se transforme en pleurs.
Une voûte céleste laiteuse,
Une lune écornée,
Descendaient sur les cimes
Des meules sereines et dociles.
Intimidés les uns par les autres,
Serrés et silencieux,
Les nôtres s’asseyaient, en rang,
Petits et grands ;
Ils étaient assis et attendaient
Jusqu’à la venue de grand-père
Jusqu’à ce que dans la cour,
Tinte la clarine de "Fleur"
Le bœuf.
Grand-père arrivait en tête de table,
Il s’asseyait rapidement,
Et la maison s’emplissait
D’arômes et de bruissements champêtres.
Et quand grand’mère prenait en main
Sa vieille louche,
Les cuillères tout naturellement
Devenaient bruyantes.
La vapeur chaude de la soupe au lait
Se heurtait à la poutre
Et s’écoulait en perles rondes
Le long du pilier.
Une famille travailleuse,
Simple et naïve
Dégustait la soupe au lait chaude,
Le lavach et l’aneth……
Aujourd’hui, de cette grande famille,
Il n’y a plus personne…
Il ne reste que moi seul, en souvenir,
Et comme témoin.
Le jour s’est obscurci, c’est déjà l’heure
Du dîner ;
Ma tristesse, peu à peu,
Se transforme en pleurs.

Hamo SAHIAN (1914 - 1993)
Traduction Louise Kiffer